vendredi 10 juillet 2015

Propos de Serge Lazarevic: L’Etat français abandonne-t-il ses otages à leur retour?

« Depuis que je suis arrivé, je n’ai aucune aide de personne. J’ai été abandonné, je suis un SDF de la République française. » Interrogé par France Info mercredi, huit mois après la fin d’un calvaire qui aura duré plus de trois ans, l’ex-otage au Mali Serge Lazarevic n’a pas mâché ses mots au moment d’évoquer son retour à la vie normale. En proie à des problèmes physiques et psychiques, isolé, dépourvu de ressources et incapable de reprendre le travail, l’ancien contremaître explique qu’il a la sensation de vivre comme un reclus. La faute de l’Etat ? La situation est un peu plus complexe.
Pour Jean-Louis Normandin, président de l’association Otages du monde, « on ne peut pas dire que l’Etat ne fait rien pour les ex-otages ». Comme les autres victimes, Serge Lazarevic a été pris en charge dès « les premières heures » sur le plan médical et psychologique, explique le Quai d’Orsay. Puis cet accompagnement s’est logiquement allégé, même si le ministère des Affaires étrangères assure que l’ex-otage a été suivi ces derniers mois au sein des hôpitaux militaires de Percy et Bégin. « En général, au début, le dispositif prévu est efficace, mais qu’en est-il six mois après, deux ans après ? interroge pourtant Stéphane Lacombe, responsable projet-communication pour l’Association française des victimes du terrorisme (AFVT). Le problème, c’est que le système est conçu pour résoudre des crises, pas pour du long terme. »

Le rôle de l’entourage

« Après le retour, il n’y a aucune règle, tout est à la carte, résume un ex-otage en Syrie, contacté par 20 Minutes. Si quelqu’un a besoin d’une aide, quelle qu’elle soit, le Centre de crise est disponible, mais il ne fera pas le premier pas. » Dans le cas de Serge Lazarevic, le Quai d’Orsay indique avoir reçu l’ex-otage à trois reprises, l’avoir mis en relation avec les services hospitaliers et administratifs et être intervenu auprès du Centre d’action sociale de sa ville pour rouvrir ses droits d’assuré social. « Une prise en charge par l’Office national des Anciens Combattants lui a aussi été proposée, mais il l’a refusée », ajoute le porte-parole du ministère des Affaires étrangères.
Selon nos informations, l’Etat s’est également résolu à détacher récemment auprès de lui un colonel de la DGSE, chargé de l’aider dans ses démarches administratives. Une première, selon Jean-Louis Normandin. « Il est de toute façon difficile de prendre des adultes par la main… » souffle celui qui a lui-même été otage au Liban, dans les années 80.
En fait, « on considère que c’est à la société civile de prendre le relais », explique Stéphane Lacombe. Notamment à la famille et aux proches. Or tous les otages n’ont pas la chance de pouvoir s’appuyer sur leur entourage. Serge Lazarevic, qui a fait le choix de prendre ses distances avec les membres de sa famille, en particulier avec sa fille Diane, pour les préserver psychologiquement, est dans ce cas-là. Il s’en remet donc aux médecins et aux quelques amis restés près de lui.

Un Fonds de garantie critiqué

En s’effaçant, l’Etat plonge malheureusement certains ex-otages dans un désarroi lié à leur nouveau statut. « Je ne me considère pas comme un héros mais je ne comprends pas ce qu’on fait avec moi depuis que je suis rentré. Ce que l’on veut faire avec moi. Et j’ai l’impression d’être invisible depuis que je suis arrivé », dit ainsi Serge Lazarevic. Un sentiment douloureux lié en partie au silence de l’Etat sur le pourquoi et le comment de la captivité et de la libération, selon Jean-Louis Normandin.

« Notre utopie, ce serait de traîner les responsables de prises d’otage en justice, pour désigner des coupables, avance-t-il. Il faudrait également que l’Etat donne aux ex-otages les clés géopolitiques des situations dans lesquelles ils se sont trouvés, pour les aider à comprendre la mécanique sinistre qui les a emportés. » Secrets d’Etat obligent, il se montre actuellement peu bavard.

Difficile de trouver un logement

Sur le plan financier, l’Etat essuie également quelques critiques. Certes, le statut d’ex-otage donne droit à une indemnisation via le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme. Mais la procédure n’est pas un long fleuve tranquille. « Il faut prouver qu’on a été victime et se soumettre à des examens médicaux, ce qui est assez avilissant », précise Jean-Louis Normandin. Sans compter que la démarche est longue et qu’elle ne débouche pas toujours sur une indemnisation à la hauteur des attentes des victimes. « Le Fonds a des oursins dans les poches », résume le président d’Otages du monde, qui se bat pour qu’il adopte une attitude plus compassionnelle. Lui aussi en colère contre l’organisme, l’ex-otage au Niger Marc Féret a choisi d’attaquer : fin juin, il a assigné le Fonds en référé.
Outre ces soucis financiers, les ex-otages rencontrent parfois des blocages dans la vie de tous les jours. « Si je veux louer une maison, on me demande des déclarations d’impôts, si je vais dans une agence immobilière on me demande des fiches de paie et mes revenus. Ce sont des absurdités car il y a toute une procédure que je ne peux pas respecter car je n’ai rien », raconte Serge Lazarevic, qui vit depuis huit mois dans un huit mètres carrés. Le Quai d’Orsay lui a bien donné des papiers précisant qu’il a été otage, dit-il, mais la spécificité de sa situation échappe à ses interlocuteurs. Une version que n’infirme pas le ministère, mais qu’il tient à compléter. « Un logement lui a été proposé à Montreuil, mais il a souhaité rester dans son studio », confie ainsi son porte-parole. Quant à sa fille, selon nos informations, elle aurait emménagé dans un appartement de la Ville de Paris, là aussi après intervention de l’autorité publique.
Une politique au cas par cas qui frustre les responsables associatifs. « Il faudrait que les ministres se réunissent pour trouver un cadre et améliorer la réinsertion sociale des ex-otages, en leur donnant un accès facilité aux impôts et aux diverses administrations, en leur proposant un vrai logement si besoin, pour qu’ils redémarrent du bon pied », avance Jean-Louis Normandin. Avec un objectif clair : redonner de la visibilité à ceux qui se sentent « invisibles ».

http://www.20minutes.fr/monde/1648651-20150709-propos-serge-lazarevic-etat-francais-abandonne-otages-retour

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