jeudi 22 janvier 2015

Assises de l'Hérault : la mort, les remords, et le sac à main d’Antoinette

Je ne cherche pas d'excuse. Si je n'étais pas allé voler cette personne, elle ne serait pas morte." Mince, pâle, le visage émacié, Juan Hadj Kouider, 23 ans, joue cartes sur table à la cour d'assises de l'Hérault. Le 29 juin 2010, dans le quartier Saint-Mathieu de Perpignan, il a arraché le sac à main d'Antoinette, 83 ans, que tenait André Cremer, 88 ans, son compagnon depuis 52 ans. André a tenté d'attraper le voleur, il est tombé au sol, la tête la première. Il est mort trois jours plus tard à l'hôpital. Antoinette ne s'en est jamais remise : elle vit aujourd'hui dans une maison de retraite de Perpignan, et n'a pas pu se déplacer au procès en appel du jeune voleur (1).
Jeune homme, vous auriez dû réfléchir avant"
En septembre 2013, aux assises des Pyrénées-Orientales, elle avait eu la force de venir. "Jeune homme, vous auriez dû réfléchir avant", lui avait-elle lâché. Juan, visiblement, a réfléchi. Après. Trop tard. Au moment des faits, il n'avait pas la tête à ça. "Vous viviez de quoi ?", demande le président Mocaer. "De méfaits. Des vols", répond le garçon qui à 18 ans avait déjà onze condamnations à son casier judiciaire. Quand il parle de son enfance, il dit : "C'était normal, pas trop mal. Dans mon entourage, il y en a qui ont eu des enfances plus difficiles. Moi j'ai été habillé, nourri, éduqué, j'ai été à l'école."
Normal ? Il a pourtant subi tout petit des maltraitances maternelles, des agressions sexuelles d'un voisin quand il n'avait que quatre ans, et a enchaîné les foyers, à partir de six ans, lui qui ne rêvait que d'être auprès de ses quatre jeunes frères et sœurs. Lorsqu'arrive à la barre Fatima, sa mère, qu'il refuse de voir depuis des années, la cour d'assises vacille, au bord du gouffre. "S'il est là, c'est ma faute", dit cette mère de cinq enfants. "J'allais en boîte, je buvais beaucoup je me droguais à l'héroïne, je la fumais. C'est Juan qui faisait tout : il a fait le papa, le grand frère. Ça lui arrivait même de s'occuper de moi."
Le bilan familial est terrible. "Mes enfants, ils ont tous été placés. Je ne me suis occupée de personne. Mes deux autres garçons ont été incarcérés pour vol et braquage, en étant mineurs." La dernière, âgée de 14 ans, est partie en foyer en novembre dernier.
Le président : "Vous mesurez le désastre, Madame ?"
"- Oui, Juan, il n'a pas eu d'enfance." Le magistrat insiste, Fatima livre une clé expliquant ses dérives : "Quand ma mère a quitté mon père, elle s'est retrouvée toute seule avec nous, elle a pris un couteau, l'a chauffé et m'a brûlé tout le bras."
Dans le box, Juan cache sa tête dans ses mains. A aucun moment, leurs regards ne se croisent. Puis il fait face aux questions : "Le sac, je ne l'ai pas fait parce que c'était des personnes âgées, je l'ai fait parce que j'ai vu l'argent."L'avocat général : "Vous n'avez pas pensé que quand on est âgé, on est plus vulnérable ?"
"- J'étais jeune et bête, M. l'avocat général. Je pensais pas."
Me Darrigade, son avocat, l'interroge sur son parcours. "Quand on est jeune, la prison, on la prend en rigolant. Quand on grandit, on voit qu'on a perdu des années de sa vie."
Il est derrière les barreaux depuis quatre ans et demi. "Cette expérience m'a fait comprendre ce que c'était, la vie. J'ai compris que ça ne sert à rien de voler pour gagner sa vie inutilement. Que ça ne sert à rien de faire du mal aux autres. Ça fait trois ans que je travaille en détention, au nettoyage. Que je me lève tous les jours à 7 h du matin. Plus tard, je veux m'installer avec ma copine, avoir des enfants, gagner ma vie comme un honnête citoyen."
Un honnête citoyen, comme André Cremer, dont on sait si peu de choses. Personne ne le représente à l'audience. Aucun membre de sa famille n'est là. Antoinette, l'an dernier, avait décrit "un homme très cultivé, curieux de tout, passionné de culture allemande". Il est mort pour quelques billets, rangés trop tard à la sortie de la boulangerie, qui ont hypnotisé l'un de ces enfants perdus qui hantent les rues de Perpignan. Verdict vendredi.
(1) Juan Hadj Kouider a été condamné à 12 ans de réclusion en première instance, le 23 septembre 2013.
http://www.midilibre.fr/2015/01/21/la-mort-les-remords-et-le-sac-a-main-d-antoinette,1114171.php

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